Pour se donner une idée ...

Publié le par JAURES

Mar adentro est un film espagnol d'Alejandro Amenabar sorti en 2004.

Analyse

A la suite d'un accident dont il a été victime dans sa jeunesse, Ramón ne peut plus bouger que la tête. "Enfermé dans son corps", il vit depuis presque trente ans prostré dans un lit. Sa seule ouverture sur le monde est la fenêtre de sa chambre à travers laquelle il "voyage" jusqu'à la mer toute proche ; cette mer qui lui a tant donné et tout repris.

Mar adentro est tiré d'une histoire vraie. Celle de Ramon Sampedro, devenu tétraplégique à la suite d'un accident, et qui s'est battu durant vingt-neuf ans pour le droit à l'euthanasie. Au terme d'une longue bataille juridique qui ne lui permit pas d'avoir gain de cause, Ramon Sampedro décida de mettre lui-même un terme à ses souffrances. Le 12 janvier 1998, grâce à l'aide de onze amis, il se donne la mort. Aucun de ses "complices" ne fut accusé, car Sampedro brouilla habilement les pistes, chacun ayant une mission secrète ne l'impliquant pas de façon certaine dans la mort de leur ami : l'un avait les clefs de son domicile, l'autre acheta le cyanure, le suivant plaça le verre sur la table de nuit, le quatrième plongea la paille et ainsi de suite jusqu'au dernier qui filma Ramon, sourire aux lèvres, quelques secondes avant sa mort.

A l’aide d’une mise en scène habile où les pensées et la réalité s’entremêlent, le réalisateur nous montre un homme que personne ne parvient vraiment à comprendre : son caractère agréable, son humour, son intelligence et son sens du contact, tout en lui respire la vie. Et pourtant, en galicien borné, il maintient envers et contre tous, sa décision de mourir, de gagner le large (Le titre Mar adentro est tiré du poème du même nom écrit par Ramon Sampedro, et dont la traduction littérale en français est "Au loin, au plus profond".).

Mais ce n’est pas de la validité ou non de cette décision qu’il s’agit au moment où débute le film. Il explique toutefois qu’il souffre du fait que, volontairement ou non, les personnes qui l’entourent violent son intimité. Ce qui apparaît important, c’est d’essayer de comprendre la situation dans laquelle il se trouve et les arguments qu’il avance, qui sont ceux des défenseurs de l’euthanasie.

Selon ses propres termes, pour lui, vivre n’est plus un droit, cela devient une obligation, lorsque, "tête pensante sur un corps inerte", il se sent otage des autres qui, soit ne veulent pas l’aider, soit, s’ils le voulaient, se mettraient hors la loi. Il comprend que d’autres tétraplégiques se réalisent pleinement. Il ne revendique que pour lui seul : lui seul estime qu’on ne peut vivre dignement dans son état, comme il lui apparaît qu’on doit vivre.



A. Amenabar ajoute quelques personnages fictifs afin de montrer différentes positions face au sujet. Une avocate, elle-même atteinte d’une maladie dégénérative, et qui est dans le désespoir, stade que Ramon Sampedro semble avoir dépassé depuis longtemps. Un curé lui-même tétraplégique qui, manifestement, est là pour incarner une certaine Espagne encore catholique et bien-pensante.

Le réalisateur rend compte avec justesse du dévouement de la famille du principal protagoniste, tout en questionnant la finalité de ce dévouement. Il est difficile de donner plus de détails sur ce film tant son éloquence tient à sa construction et à une interprétation magistrale de tous les acteurs. De plus, il est agréable de voir une Espagne hors clichés, notamment cette région de culture celtique, bien traduite par la musique composée par le réalisateur lui-même.

Les films basés sur des faits réels sont un genre à part entière. Souvent, le réalisateur prend parti pour son personnage. On sent qu’Alejandro Amenabar a tenté de comprendre cet homme. Mais il ne fait, ni un plaidoyer en sa faveur, ni une hagiographie de cet homme. Saluons au passage l’effort d’A. Amenabar dont la biographie, au passage, rendrait jaloux n’importe quel cinéphile : presque autodidacte, homme de cinéma qui fait le scénario, le script, la musique et même le montage de tous ses films.

La demande de Ramon Sampedro est rejetée par les juridications espagnoles (et européennes), mais il trouve finalement de l’aide et décide d’agir illégalement, un peu comme le cas Humbert en France. Il prend soin d’expliquer pourquoi dans un testament qu’il enregistre juste avant de se donner la mort. Cette vidéo fut diffusée à la télévision espagnole. Il ne s’agit pas ici de voyeurisme, mais de courage. Car en définitive, c’est à chacun de se faire une opinion, si toutefois il est possible d’avoir une opinion tranchée sur un cas qui touche à l’intimité de chaque personne concernée. A cette intimité que Ramon Sampedro, justement, regrettait d’avoir perdu.

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